jeudi 24 novembre 2011

TRANSFERT DE COK'HILLETTE








9:30. Mon agenda sonne ; enlèvement de Cok´Hillette dans 24h. Le compte à rebours a débuté. Fatigué par une semaine de fébrilité, je retrouve l´énergie de penser à ce que sera demain. Je vais retrouver cet objet de conte, choyé, dorloté mais endormi depuis 37 ans. 

L´épopée sera familiale tant tous les membres se sentent impliqués. C´est donc en force au petit matin du samedi 19 novembre 2011 que la troupe débarque dans la petite rue languissante de St Leu la Forêt, mondialement connu pour sa carrière de pierre à sculpture. Priorité au plateau Poids Lourd qui se faufile avec grâce au milieu des voitures des résidents, encore recouvertes de buée. Derrière, la voiture familiale et les enfants excités. La décompression d´air violente annonce l´arrêt du camion, signalé par ses gyrophares oranges. La rue va sortir de son sommeil… 

Roland apparait : nous sommes en avance de 20 minutes. Eric endosse son rôle à merveille, la casquette de velours vissée sur la tête et la paire de gants de manutention à la main. Rapide présentation et la clé entre dans le barillet de la porte de garage du pavillon des années 50. Banlieue tranquille, verdure tranquille, sourire tranquille… Personne ne peut imaginer ce qui se trouve derrière cette porte au vernis fatigué. Roland semble perturbé. La porte s´ouvre mal. Je prends le relais et la pousse méthodiquement dans ses rails. J´observe du coin de l´œil la réaction d´Eric. Il ne bronche pas. Il assoit sa carrure stupéfaite devant l´engin. Ils sont nez à nez mais il ne bronche pas. Il feint. Les enfants autour parlent, commentent. Cloé prend des photos. Marie est amusée de me voir redécouvrir Cok´Hillette. Roland fait quelques commentaires au moment où Marie doit passer derrière le volant car la voisine est venue s´y asseoir hier et a du essuyer les poussières. De fait. 




Le HZ de 1951 s´apprête à quitter son garage de Saint Leu la Forêt après s´y être réfugié 46 ans. Roland avait 20 ans. Les autres n´étaient pas nés. On entend des marche arrière de voitures dans la rue. On se concerte sur les dernières recommandations de sortie de garage. Coquillette n´a pas entendu son moteur tourner depuis 1974, année du décès de son propriétaire. Son épouse donnait un coup de manivelle régulièrement pour aider la mécanique à s´entretenir. Mais son grand âge a fini par avoir raison de ses bonnes résolutions jusqu´à sa récente disparition en mars. Il fait froid. Maintenant ! Coquillette s´avance silencieusement dans l´allée. Les pneus sont restés incroyablement bien gonflés à part l´arrière droit. J´entends dans le souffle de l´effort le bruit caoutchouteux des pneus sur les dalles gravillonnées. Eric recommande à Marie d´attendre son feu vert pour braquer à la sortie du portail et Cok´Hillette se retrouve dans la rue. Une manœuvre maintes fois exécutées. Délicate mais compte-tenu de l´état général de la carrosserie, à chaque fois réussie. 



Le HZ se présente doucement au plateau et dans la rue, c´est l´effervescence. Roland est assailli de voisins. Il rassure en disant que Coquillette part chez des passionnés, un responsable de forum sur le Type H. J´essaie de ménager la chèvre et le chou. Rassurer les voisins particulièrement concernés par ce départ et être présent aux côtés d´Eric qui a besoin de moi. Eric est dans son élément ; il n´a pas franchement besoin de moi. Et son assurance m´apaise. Mais je ne suis pas moi-même. En convalescence, pas complètement ici, j´entends des bruits, des conversations. Je voudrai pouvoir profiter de tout et passe peut-être à côté de tout. Mais le moment est solennel et ça, je le sais. De nouveaux voisins sortent, des passants s´arrêtent. Tous connaissent Coquillette. Son histoire ne peut s´arrêter là. Je suis persuadé avoir fait le bon choix. Celui du cœur. Le treuil se déroule dans un suintement métallique. Le crochet piège l´essieu avant. La manœuvre débute.




Eric dirige d´une main de velours les manettes, Marie me fixe derrière le double pare-brise poussiéreux orangé par le soleil levant et je dirige Cok´Hillette au centimètre prés dans sa montée de plateau. Eric délivre méthodiquement ses conseils avisés. Dans le calme. La foule s´est tue. Le moment est magique. Le sifflement des vérins hydrauliques résonne dans la rue verdoyante et calme. Coquillette quitte la première partie de sa vie. 60 ans. Un couple amoureux. Une belle histoire. Je ne l´ai sentie ni gai, ni triste. Juste inerte. Mais je veux qu´elle vive. Qu´elle chante. Qu´elle rit. Le plateau s´immobilise. Un rayon de soleil nous éblouit et Cok´Hillette disparait partiellement, absorbée par l´intensité lumineuse. Le dernier adieu de ses propriétaires depuis les cieux.





Une vieille dame passe au milieu de la scène et lance « Tiens, Coquillette s´en va ... ». Surréaliste. Personne ne l´entend. Marie interroge Roland qui étonné, avoue ne pas la connaître. Elle est sortie de la scène comme elle y était entrée. Je dois la retrouver. Je veux la rencontrer. Elle doit me parler.

Roland me montre un caisson du camion fermé à clé et me dit ne pas avoir cette clé. Normal puisqu´il s´agit du poids-lourd et non du HZ grimpé dessus. Son attitude m´inquiète mais Marie me rassure en disant que ce jour n´est pas facile pour lui. Coquillette, c´est l´histoire de sa marraine, une seconde maman.
L´agitation du quartier retombe comme un soufflé. Je promets à Roland de nous revoir. Eric vérifie l´ensemble des fixations. Double-sabot aux roues opposées, sangle aux poulains et treuil tendu. Paré. 




L´ambiance dans la cabine est concentrée ; il faut sortir des petites rues avec le poids lourd. Aucune manœuvre ; Eric se faufile doucement mais sûrement. Cok´Hillette offre sa bouille rétro à 3m50 environ. Arrive l´autoroute et le « C´est parti mon pépère ! » d´Eric, signifiant l´achèvement de l´enlèvement. La voiture familiale nous suit. Cok´Hillette ne bouge pas dans les virages. Direction la Bourgogne.
Trois heures plus tard, arrivée à Chaource. Le chauffeur avait lorgné sa montre, espérant la boulangerie encore ouverte. Traditionnelles baguettes aux lardons pour cet habitué des lieux qui lance en entrant dans le commerce « Bonjour, vous allez bien ? » et la boulangère, de jouer le jeu. Plus que 12 kilomètres… Eric connait le coin par cœur. Le camion passe l´abreuvoir et monte la rue de l´Orme Grappin. Dernière ligne droite. Il s´élance pour le dernier sprint, à la vitesse d´un éléphant qui charge. Le comité d´accueil est là. On retrouve les enfants et Marie qui avaient fini par prendre un peu d´avance. Grandes croisées de bras et appels de phares. 






Eric, imperturbable, sérieux mais toujours le mot pour rire tente d´emblée d´entrer le plateau dans la cour. Deux manœuvres plus tard, les rétros frôlent les piliers du portail et le monstre coiffé d´une beauté pénètre sur les graviers. Coquillette rentre directement dans la grange. Arthur H lui tourne le dos. Les deux protagonistes feignent s´ignorer. Il leur faudra du temps je pense. Marie prépare un repas pique-nique car le temps nous est compté pour rendre le camion à son agence le soir même. Nous profitons de nous retrouver, Eric et moi, seuls, pour inspecter Cok´Hillette et ses secrets gardés. On inspecte d´abord le contenu de son tiroir-caisse. Un rangement fait de trois plateaux de bois superposés regorgent d´objets en tous genres. Eric repère ce qui pourrait être la pince d´origine livrée avec le véhicule neuf. Je regarde amusé des étiquettes d´entretien. Antar du 10 décembre 1960 des Etablissements Tarot à Viry-Chatillon (entretien des 38900km) et encore un autre Shell du 24 janvier 1959. Des trésors. On branche un projecteur à l´intérieur pour continuer cette fibroscopie préventive. Quelques emballages d´origine vides… Un joli beau bazar. Pas davantage de temps pour nous y attarder. Il faut rentrer déjà…

Formidable moment de partage et d´amitié. Merci Poupoune et désolé de ne pas avoir eu davantage la patate…



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