mardi 24 janvier 2012

Retour Rue Renan...








Il y a des matins qui vous emportent. Qui vous délectent.

Je me suis donné la charge de retrouver la vieille dame qui avait soufflé « Tiens, Coquillette s´en va ». Mais le bruit des vérins hydrauliques du poids-lourd plateau avait impoliment couvert sa douce réflexion et nous étions si occupés ce matin du 19 novembre 2011…

En quête de vérité, j´organise l´ordre de bataille : recensement des numéros de téléphone des voisins d´Yvonne et Lucien, tri selon la correspondance des prénoms avec des personnes susceptibles d´avoir connu le couple. Exit les Laurent ou Karim. Je commence par Maurice, Jacqueline, Roger ou encore Madeleine. Puisqu´il doit s´agir de retraités, je pourrai les joindre en ce milieu de matinée.


Quelques appels plus tard mais motivé comme jamais, je tombe sur un certain Roger. 85 ans. Alerte. Un peu méfiant. Je comprends. La situation éclaircie, Monsieur Roger m´annonce avoir connu Monsieur Bouchot. 

"J´habite ici depuis 1959 alors c´est vous dire ! C´était un homme de grande qualité, gentil, serviable et discret. Il travaillait chez Thomson. Il était le chef d´atelier du service après-vente. J´entretenais des relations cordiales avec lui. Nous travaillions dans la même branche ; j´étais électronicien aussi parfois pour la Thomson. Il avait une qualité : il possédait l´oreille universelle. Il était violoniste et pouvait remplacer au pied levé un musicien de l´opéra tombé malade. Un génie de la musique. Précis. Rigoureux. Il fallait que la note soit précise, pensez-vous ! "
Pendant que Roger faisait appel à sa mémoire, je réalisais à quel point l´ensemble des éléments déjà recueillis convergeait vers son discours ; Monsieur Lucien Bouchot était un homme net, précis, rigoureux... Tout ce que l´état de Cok´Hillette m´avait déjà révélé...

"Pendant les travaux de construction de leur maison, ils vivaient dans leur caravane (NDLA : il veut parler de Cok´Hillette). Ils en ont fait tout l´aménagement eux-mêmes. En retraite, ils partaient parfois deux ou trois mois. Ils n´avaient pas d´enfants alors… "

Roger épuise un peu le sujet. Comme pour conclure, il en arrive à cette presque fatalité : "Le médecin lui disait de ne pas se baisser quand il jardinait. Il est mort dans son jardin d´un AVC."

Roger aborde le second volet avec plus de détachement ; "Madame était plus réservée. Elle aimait jardiner aussi. Puisque nous étions voisins, je la voyais allongée en train de repiquer des fleurs. Même peu de temps avant qu´elle ne décède... "

Plus à l´aise, il se laisse enfin aller à une confidence polissée : "Mais dans le quartier, ils étaient plutôt sauvages. Rien de péjoratif dans cela mais ils étaient dans leur bulle ; heureux, amoureux… "
Comme il est émouvant d´entendre parler de ces amoureux autrement que par les filières administratives. Roger dit avoir la mémoire qui flanche mais il n´y parait absolument rien. Et donne au passage une petite leçon de vie dans une anecdotique allusion à son état de santé : "Ma force, c´est ma volonté de me battre. J´ai les neurones qui fonctionnent parfaitement bien ! " -  Je confirme.
Je raccroche. Quel moment délicieux… 



Je me remets en quête de la dame au panier à provisions. Un monsieur approuve ma démarche mais se désole de ne pouvoir m´aider ; il habite la rue depuis peu.


Je tente un Robert. Une dame répond. La voix me semble trop jeune. J´explique ma démarche pour la Nième fois et au moment où je décris la scène de l´enlèvement de l´utilitaire, elle prononce le sésame. « Oui, Coquillette ! » Estomaqué, je lui fais répéter. « Oui, c´était Coquillette. Je suis passée ce matin là avec mon mari. Nous revenions du marché… » Je demande « Est-ce vous qui avez dit ce matin là « Tiens, Coquillette s´en va » ? » « Oui, c´est ça… »
In-cro-ya-ble ! J´étais en train de parler avec cette dame venue apporter le moment de magie dans l´enlèvement du Type H. Le rayon de soleil manquant.

Au téléphone, elle est un peu intimidée, ne répond que de façon succincte à mes questions. J´aurai aimé à ce moment précis qu´elle fut aussi bavarde que Roger. Elle habitait avec son mari le quartier depuis 1978. Elle n´a jamais connu Lucien et pour cause ; il était décédé 4 ans plus tôt. Elle s´est rendue plusieurs fois chez Yvonne. A chaque fois, un pèlerinage obligatoire par Coquillette. Elle définit Mme Bouchot comme une personne nostalgique depuis le décès de son mari, passionnée par son jardin. Elle y tenait tant également. Coquillette avait une importance toute particulière maintenant que Lucien n´était plus. Et sans enfants… Je demande quelques anecdotes à propos des voyages. La seule qu´elle me livre est que chaque année, le couple déterminait sur une carte de France la région à visiter. Une année, ils avaient choisi la Corse. Mais à Marseille, lorsque Lucien vit qu´il fallait sangler Coquillette pour l´embarquer sur le ferry, il refusa et les vacances en Corse furent annulées…
J´imaginais un couple uni et amoureux de leur "voiture" mais à l´issue de notre conversation, ce sentiment était plus fort encore.
Devant son silence, j´ai proposé à cette dame de la rappeler dans quelques mois. Elle accepte volontiers…



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